S’il y a bien un épisode de l’histoire de l’Islam qui encore aujourd’hui reste très obscur, c’est celui de sa naissance.
Ces années 610-630 qui ont vu émerger un homme, un Prophète : Muhammad.
Et une nouvelle religion : l’islam.
Cette période est d’une importance capitale si tu cherches aujourd’hui à approfondir tes connaissances sur l’histoire islamique.
Car ces premières décennies du VIIe siècle constituent les fondations d’un empire et d’une religion qui ont dominé la moitié du monde méditerranéen pendant plus d’un millénaire.
Une époque où Muhammad et les premiers musulmans se sont imposés en Arabie en triomphant des Mecquois (Quraysh).
Posant ainsi les bases des futures conquêtes à venir.
Or, aborder l’histoire des débuts de l’islam est un long chemin semé d’embûches.
D’abord, parce qu’il s’agit d’une époque très largement idéalisée par la majorité des musulmans…
Et c’est tout à fait normal !
Parce que c’est durant ces années 610-650 que se sont illustrées les plus grandes personnalités de l’islam (en tout cas celles qui sont considérés comme telles).
C’est bien évidemment le cas du Prophète Muhammad.
Mais aussi de ses proches compagnons (comme Abû Bakr) et, plus largement, de toute la première communauté musulmane, et ce sur trois générations.
Car, comme le rappelle ce hadith (tradition prophétique – ici parole rapportée de Muhammad) : « Les meilleurs des hommes sont ceux de ma génération [celle de Muhammad], puis ceux qui viennent après eux, puis ceux qui viennent après eux ».
Pour les musulmans, ces premiers croyants, ayant vécu au plus près de l’époque fondatrice de l’islam, sont censés être les plus purs.
Ils auraient développé une foi inébranlable.
Une religion simple et épurée de tout ajout superflu (voire dangereux) comme cela est censé être le cas au cours des siècles suivants.
Mais le souci, c’est que cette idéalisation est une potentielle menace pour le travail de l’historien.
Puisqu’il s’agit d’un filtre déformant sans aucun doute la réalité.
Et si l’on n’a pas conscience de son existence, que l’on ne parvient pas à prendre de la hauteur, alors notre perception du passé est inévitablement biaisée.
Le tout est de prendre une décision ferme : adopter la posture de l’historien.
D’essayer de développer un regard qui soit le plus froid et clairvoyant possible.
Sans pour autant remettre en question sa propre foi, bien au contraire.
Toutefois, selon moi, le plus grand problème ne réside pas dans cette potentielle idéalisation.
Le plus grand problème réside dans cette hystérie collective qui entoure les premiers temps de l’islam.
Dans ces discours qui instrumentalisent cette époque fondatrice pour défendre des opinions, des idéologies particulières.
Ainsi, d’un côté, certains musulmans défendent à tout prix une époque qu’ils considèrent (encore une fois tout à fait logiquement) comme fondatrice et exemplaire.
À l’opposé, d’autres personnes prennent comme exemple l’histoire (ou plutôt le récit) de l’époque du Prophète Muhammad pour critiquer durement l’islam.
Tout cela pour démontrer que l’islam est fondamentalement violent, voire barbare.
Et quoi de mieux que de souligner les « exactions » commises par des musulmans du vivant de Muhammad pour défendre cette idée ?
Je pense ici principalement aux relations entre musulmans et juifs (et de l’exécution des Banû Qurayza), dont on parlera en détail dans ce nouvel épisode des « Suppléments ».
Pourtant, même si elles semblent naturellement opposées, ces personnes se rejoignent sur un point précis.
Elles sont l’antithèse parfaite de ce que devrait être (et faire) l’historien.
Au lieu de partir des sources, des textes et des vestiges archéologiques qui permettent d’étudier l’histoire de cette période avec sérieux.
Elles s’appuient d’abord sur leurs propres convictions pour essayer de trouver des confirmations de leurs croyances dans les témoignages du passé.
Le pire, c’est qu’elles vont souvent trouver ce qu’elles cherchent.
Parce que même quand un texte est muet, il est toujours très facile de lui faire dire ce que l’on souhaite entendre.
Et sur ce point, même des historiens ont commis des erreurs similaires.
Donc tu l’auras compris, si tu veux développer sérieusement tes connaissances sur l’histoire de l’islam, tu devras t’éloigner au maximum de ces discours.
Pour cela, ton seul objectif est d’abord et avant tout d’apprendre à penser comme un historien.
Cela commence par se détacher de ces combats idéologiques.
Car plus tes émotions et tes convictions entrent en jeu, plus ton esprit critique, ta capacité de réflexion, en seront proportionnellement diminués.
Jusqu’à être parfois, purement et simplement, anéantis.
Or, si tu me suis sur YouTube, et plus encore si tu es abonné(e) à mes mails, je sais que ton but est de t’extraire de la mêlée.
D’avoir accès à un discours sérieux et honnête, qui ne s’embarrasse pas d’une quelconque idéologie.
Donc au lieu de faire comme tout le monde et de commencer par vouloir connaître LA vérité, apprends à réfléchir comme un historien.
C’est un travail exigeant, de longue haleine, mais mon objectif est de t’aider à aller plus vite et de manière plus efficace.
Comme c’est le cas dans ce 4ème épisode où je recevrai Guillaume Dye, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste des débuts de l’islam et des études du texte coranique.
Car, en réalité, l’historien sait très bien que l’on ne connait finalement que très peu de choses sur cette période.
Puisque cette « histoire » sur laquelle s’appuie tous les discours que je t’ai présenté n’est en réalité qu’un « récit » : celui de la tradition islamique.
Cela ne veut pas dire que celui-ci serait erroné en tout point, seulement qu’il est quasiment impossible pour l’historien de démêler le vrai du faux.
L’objectif de l’historien n’est donc pas fondamentalement de trouver LA vérité mais de s’en rapprocher le plus possible.
Et pour cela, il est primordial de développer un regard critique sur tous les textes d’où provient ce récit traditionnel.
Ainsi, si tu veux nourrir de manière sérieuse ton savoir sur les débuts de l’islam, tout commence par les sources.
Or, celles-ci posent de nombreux problèmes aux historiens.
Le Coran, texte central de l’islam, fait très rarement référence à des évènements historiques précis.
D’autant qu’il s’agit d’un texte complexe à aborder avec un langage parfois très métaphorique.
La tradition prophétique (récit des paroles et des actes du Prophète Muhammad), ainsi que les textes « religieux » islamiques, constituent les sources les plus abondantes.
Seulement, la majorité des traditions ont été mises par écrit/compilées au cours des IXe-Xe siècles, soit 200 à 300 ans après les faits relatés.
Et il en va de même pour les textes religieux plus généraux.
Ceci ne va pas sans d’importantes problématiques, car l’auteur, dans ses choix de rédaction ou de transmission de telle ou telle tradition, est influencé par de nombreux facteurs.
En premier lieu, celui de son temps.
Autrement dit, il est avant tout guidé par des préoccupations qui sont propre à son époque, à la société dans laquelle il vit (et qui ne sont donc pas celles du VIIe siècle).
Alors oui, bien sûr, il existait déjà une certaine méthodologie (avec par exemple la citation des auteurs/transmetteurs sur lesquels on s’appuie), mais rien de comparable avec le travail d’un historien du XXIe siècle et de la recherche d’une stricte objectivité.
Bien sûr, il y a d’autres textes, comme la Sîra (biographie) du Prophète Muhammad, la « Constitution » de Médine, des témoignages archéologiques ou encore des écrits non-musulmans.
Mais tous comportent des limites, sont sujets à de multiples questionnements.
Et c’est seulement en comparant ces sources entre elles que tu pourras avoir un aperçu bien plus profond (et nuancé) de cette période fondatrice de l’histoire islamique et de la religion musulmane.
Ce travail, je te propose qu’on le mène ensemble en profitant des connaissances d’un historien chevronné : Guillaume Dye.
Car il est l’invité de ce 4ème épisode des « Supplément ».
Un invité important, puisqu’il est le co-directeur (avec Mohammad Alî Amir-Moezzi) de la très vaste étude collective dédiée à l’histoire du Coran.
Professeur à l’Université Libre de Bruxelles, codirecteur des « Early Islamic Studies Seminar », Guillaume Dye est un spécialiste de l’histoire des débuts de l’islam et du texte coranique.
Compte-tenu de son importance, cet épisode a été divisé en deux parties.
1ère partie - la question des sources : Le but sera de te donner un aperçu des sources disponibles aujourd’hui sur les débuts de l’islam et de te présenter, l’une après l’autre, les problématiques qu’elles comportent.
2ème partie – les relations entre musulmans et juifs : Pour moi, dédier une partie entière à cette question me semblait essentiel. Ne serait-ce que pour sortir de cette hystérie stérile autour de ce sujet. L’objectif, ce sera là aussi d’y voir plus clair, au-delà de ce que tu as sans doute pu entendre ou lire jusqu’à présent.
Enfin, je le rappelle, la majorité de mes contenus est accessible à tous.
Et celui-ci ne déroge pas à la règle.
Il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances de bases, d’autant plus que tous les mots-clés et les noms propres seront directement affichés dans la vidéo (ou dans la partie annexe, si tu préfères écouter l’épisode en version audio/podcast).
J’espère que ce 4ème épisode te plaira et te permettra d’y voir plus clair.
Romain (Ave’Roes).